La fable géopolitique de la « menace nucléaire iranienne »

 

Drapeau - Iran - 2

 

 

Montée de toutes pièces, la « menace nucléaire iranienne » est une supercherie qui vise à neutraliser un grand pays non-aligné. Souverain, désendetté, farouchement attaché à son indépendance, l’Iran a un potentiel qui effraie les tenants de l’ordre impérial.

 

Transis d’admiration devant le verbiage polyglotte de Macron à Davos, les médias français ont soigneusement occulté un fait majeur : Donald Trump va demander au Congrès 716 milliards de dollars pour le Pentagone au titre de l’année budgétaire 2019. Cette hausse de 7% par rapport au budget 2018 ne servira pas à remplacer les boutons de culotte. Selon un document confidentiel publié par le Huffington Postle Pentagone envisage la possibilité d’une riposte atomique dans le cas de « très grosses attaques conventionnelles ».

 

Document d’orientation stratégique, le projet de Nuclear Posture Review pour 2018 prévoit donc une modernisation de l’arsenal atomique dont le coût est évaluée par une agence fédérale, le Congressional Budget Office, à 1 200 milliards de dollars sur 30 ans.

 

Ce projet de réarmement massif, pourtant, ne semble pas émouvoir les populations ni passionner les observateurs. Il faut dire qu’on a tout fait pour que l’arbre cache la forêt. Depuis quinze ans, les dirigeants occidentaux ne cessent d’agiter l’épouvantail de la « menace nucléaire iranienne ». Cette fable géopolitique, les médias dominants la distillent à longueur de colonnes, comme s’il était évident qu’un pays sans la bombe est plus dangereux qu’un pays qui l’a déjà utilisée, et qui entend développer le monstrueux arsenal dont il dispose. Pour faire avaler de telles sornettes, la propagande martèle alors une idée simple : « Le programme nucléaire iranien menace le traité de non-prolifération nucléaire« . Il est curieux, toutefois, qu’on n’ait jamais songé à répondre : « Si vous tenez tant à ce traité, pourquoi ne pas commencer à l’appliquer ? » 

 

Les puissances occidentales, en effet, n’ont jamais fait le moindre effort pour convaincre Israël, l’Inde et le Pakistan de signer le TNP. Refusant d’adhérer au traité, ces trois pays ont constitué un arsenal hors-la-loi. Échappant à tout contrôle, il est tout de même plus préoccupant qu’une bombe iranienne qui n’existe pas. Ce n’est pas tout. Le traité prévoit aussi un désarmement nucléaire que les cinq États « légalement » dotés d’armes atomiques (USA, France, Royaume-Uni, Chine, Russie) ont superbement ignoré. A l’origine de cet échec, les États-Unis ont dénoncé le traité Start II avec Moscou et installé un bouclier anti-missiles en Europe. Pire encore, ils n’ont cessé de développer un arsenal dont « l’usage préventif » est affirmé par la Nuclear Posture Review de 2002. Autorisant l’utilisation d’armes nucléaires en première frappe, cette révision doctrinale a ouvert une fantastique boîte de Pandore.

 

A croire la propagande habituelle, le monde civilisé doit se tenir prêt à riposter à la salve dévastatrice des mollahs iraniens, ces « fous de dieu » enturbannés résolus à précipiter l’apocalypse. Mais la réalité est à des années-lumière de ce délire idéologique.

 

En fait, l’establishment américain n’en finit pas de digérer le traumatisme de la révolution iranienne, lourd d’humiliation symbolique (les otages de Téhéran) et de fiasco géopolitique (la chute du Chah). Pièce par pièce, Washington a donc bâti une démonologie où la République islamique est présentée comme une dictature maléfique, dont le comportement erratique ferait peser sur la planète un péril mortel. Affabulation à grande échelle, manifestement, dont la seule fonction est d’inhiber le développement d’une grande nation rétive à l’ordre impérial. 

 

 

Iran – Nucléaire - 2

 

 

Les faits sont parlants. Accusé de vouloir la fabriquer, l’Iran ne détient pas l’arme nucléaire. Les USA sont la première puissance nucléaire et la seule à en avoir fait usage. Seul État du Proche-Orient possédant la bombe (400 têtes nucléaires), Israël jouit de son côté d’un privilège dont il n’entend pas se défaire : il a le droit de détenir l’arme suprême à condition de ne pas s’en vanter. Avec la complicité occidentale, la duplicité israélienne fait coup double. Elle exerce un effet dissuasif puisque la bombe existe, sans encourir les foudres internationales puisqu’il est entendu qu’elle n’existe pas. Cet incroyable régime de faveur transforme la question nucléaire en conte à dormir debout : une bombe purement virtuelle devrait nous donner des sueurs froides (Iran), alors qu’un arsenal colossal mais officiellement inexistant ne devrait susciter aucune inquiétude (Israël).

 

Soustrait à tout contrôle international, le programme nucléaire sioniste bénéficie depuis l’origine d’une impunité totale. Les Occidentaux fustigent le risque de prolifération, mais l’histoire de la bombe israélienne montre qu’ils en sont directement responsables. Ben Gourion a lancé le programme nucléaire sioniste dès le début des années 50, et la France lui a immédiatement apporté son concours. Un accord secret avec le socialiste Guy Mollet, en 1956, a permis à l’État hébreu de maîtriser la technologie nucléaire, et la centrale de Dimona a été construite avec l’aide de techniciens français. Unis dans la lutte contre le nationalisme arabe, la France et Israël ont scellé un pacte dont la calamiteuse expédition de Suez fut le principal fait d’armes.

 

Prenant le relais de l’alliance française à la fin des années 60, les États-Unis ne sont pas moins coopératifs. Aux termes de l’accord entre Lyndon Johnson et Golda Meir, aucune pression ne doit s’exercer sur Israël pour lui faire signer le traité de non-prolifération. En échange, Israël cultive l’ambiguïté sur la réalité de son arsenal nucléaire. Complaisante dérogation à la loi internationale, en somme, contre respect scrupuleux de la loi du silence. En attendant, les Occidentaux s’acharnent sur l’Iran, lui prêtant un projet militaire imaginaire, alors même que Tel Aviv multiplie les menaces contre Téhéran. La République islamique, pourtant, n’a jamais agressé ses voisins. On ne peut en dire autant d’Israël, qui a bombardé l’Égypte, la Syrie, le Liban, la Jordanie, l’Irak et la Tunisie, sans parler des territoires palestiniens quotidiennement pris pour cibles.

 

 

Iran – Nucléaire - 1

 

 

Jetant un écran de fumée sur cette réalité, la propagande occidentale traite le régime iranien de « théocratie fanatique ». Ce n’est pas un mollah, pourtant, qui a déclaré que « Notre État est le seul en communication avec Dieu« . C’est Effi Eitam, ex-ministre israélien et chef du parti national-religieux. Imbibé d’un orientalisme de pacotille, le discours dominant décrit la République islamique comme un repaire d’illuminés férus d’eschatologie qui rêveraient d’immoler Israël avec la bombe atomique ! Quel dommage que les pourfendeurs de l’Iran ne nous aient pas gratifiés de considérations aussi inspirées sur la bombe israélienne : elle a pour caractéristique de faire planer, elle, une menace non virtuelle. Entre la prétention sioniste à « communiquer directement avec Dieu » et l’obstination mystique de Tel Aviv à posséder l’arme suprême, on aurait pu déceler, ici aussi, une singulière « eschatologie ».

 

Autre paradoxe qui ne manque pas de saveur : l’Occident accuse l’Iran de vouloir fabriquer la bombe, mais c’est la République islamique qui a interrompu le programme nucléaire en 1979. Encouragé par les USA, le Chah avait signé de juteux contrats avec la France et l’Allemagne pour la construction de centrales nucléaires. L’opposition ayant dénoncé cette politique, jugée onéreuse pour un pays riche en hydrocarbures, le programme est aussitôt suspendu par le gouvernement de la République islamique. Il fallut la sanglante guerre Iran-Irak (1980-1988) pour changer la donne. Seul face à l’agresseur irakien, le gouvernement iranien a mesuré sa faiblesse devant une coalition faisant bloc avec Saddam Hussein. La participation des puissances occidentales, les livraisons d’armes chimiques à l’Irak, la destruction en plein vol d’un Airbus iranien lui ont fait prendre conscience du danger.

 

C’est dans ce contexte que les dirigeants iraniens ont vu dans la technologie nucléaire un attribut de la souveraineté et une source de fierté nationale. La possession de l’arme nucléaire, elle, est jugée impie par les autorités religieuses, et aucun programme nucléaire militaire n’a été officiellement engagé en Iran. Ses accusateurs ont constamment prétendu le contraire, mais sans fournir la moindre preuve. Le discours obsessionnel contre Téhéran, en réalité, confond délibérément deux choses : la capacité technologique de produire des armes nucléaires, et la décision politique de produire de telles armes. Au motif que cette capacité a été atteinte, on accuse Téhéran de vouloir se doter de la bombe. Mais ce raisonnement est d’une criante perversité, puisqu’au lieu de demander des comptes à ceux qui ont la bombe, on s’acharne contre un État qui n’en veut pas. 

 

Montée de toutes pièces, la « menace nucléaire iranienne » est une supercherie qui vise à neutraliser un grand pays non-aligné. Souverain, désendetté, farouchement attaché à son indépendance, l’Iran a un potentiel qui effraie les tenants de l’ordre impérial. Les dirigeants iraniens ont signé l’accord de 2015 parce qu’ils privilégient le développement de leur pays. Ils veulent la levée des sanctions pour satisfaire une population de 80 millions d’habitants. L’accord sur le nucléaire soumet ce grand pays à un régime de contrôle international sans précédent, mais Téhéran l’a accepté. En accusant l’Iran de « soutenir le terrorisme », Trump veut interrompre ce processus de normalisation. Poussé par les marchands d’armes, il poursuit la diabolisation de l’Iran d’une façon grotesque. L’impérialisme ne désarme jamais, et les mensonges continueront. Mais l’Iran sait que le temps joue en sa faveur, et il saura résister aux provocations d’une superpuissance en déclin.

 

 

Bruno Guigue, ancien haut fonctionnaire, chercheur en philosophie politique et analyste politique français

 


 

Drapeau - Iran - 1

 


 

Source :

https://fr-fr.facebook.com/bruno.guigue.10

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Guigue

https://reseauinternational.net/la-fable-de-la-menace-nucleaire-iranienne/

https://fr.sott.net/article/31775-La-fable-de-la-menace-nucleaire-iranienne

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-fable-de-la-menace-nucleaire-201110

13 commentaires

    • Avec tous les déploiements des armes et troupes… Ils font tout pour qu’ils y aient des confrontations. S’ils l’on se penche un peu sur l’histoire, l’on constate plus ou moins la même trame.

      J’aime

  1. Soyons sérieux ! La menace chimique en Irak a été le prétexte à l’intervention internationale contre Saddam Hussein. Quand les troupes de « libération » sont rentrées dans la capitale, 30.000 civils ont été tués gratuitement – (en 1944, en France, lors du débarquement en Normandie, 100.000 civils français sont morts sous les bombardements alliés, autant que les 100.000 soldats français qui se sont sacrifiés au début de la guerre pour combattre les allemands qui rentraient en France) – . En Irak, résultat: dix ans après, les puits de pétrole sont passés sous contrôle américain… Au passage, les médias occidentaux tentent de relayer le même discours contre les troupes syriennes. On pourrait parler de l’utilisation du Sarin (Neurotoxiques de type G) et si l’on allait dans le détail, il paraîtrait tout aussi évident que le « coup » de l’Irak est renouvelé en Syrie. En Iran, même si ce pays se dotait de l’arme nucléaire, ce qui est faux, il faudrait qu’elle soit portée par des « vecteurs », soit des missiles. En aucun cas, cela ne pourrait menacer les USA. Israël (qui déteint l’arme nucléaire) pourrait être effectivement menacé mais avec les moyens d’interception (anti-missiles) contre des vecteurs (missiles ) que pourrait employer l’Iran, la dite « bombe nucléaire » qui décollerait du territoire iranien exploserait avant de sortir du pays. Ce qui revient à dire que l’Iran déclencherait une explosion nucléaire sur son propre territoire, en l’envoyant sur un pays voisin. C’est simple, mais comme les populations occidentales n’ont plus la capacité intellectuelle de réfléchir, elles se font manipuler…


    https://polldaddy.com/js/rating/rating.js

    Aimé par 1 personne

      • Je continue à bien suivre les évènements de par le monde. Et nous ne sommes pas bien parti. Nous refaisons le partage du monde (partager pour mieux régner), en prenant modèle sur la guerre froide où l’ennemi étaient les communistes. En ce moment, nous glissons petit à petit vers une division du monde entre musulmans et non musulmans. Rien n’est inventé. Tout est recommencement.


        https://polldaddy.com/js/rating/rating.js

        Aimé par 1 personne

      • Effectivement, et si l’on creuse le sujet ; ce que vous avez très certainement fait, l’on s’aperçoit que ces programmes géopolitiques, etc (ce que vous avez décrit) ne datent pas d’hier. Il suffit juste de lire les Protocoles, The Pawn in the Game, et d’autres œuvres du 19e et début du 20e siècle. Je ne suis pas d’une nature pessimiste mais je pense que nous allons au devant de très grands troubles mondiaux qui profiteront à une petite élite (toujours les mêmes). Ce qui nous attend est catastrophique. Mais combien en ont conscience… Merci pour votre commentaire. Toujours aussi pertinent.

        J’aime

  2. Je partage cette analyse. J’ajouterai que si le but de l’Iran était de détruire Israël à coup de missiles nucléaires, non seulement il serait contré mais il recevrait de la part d’Israël une riposte 10 ou 100 fois plus puissante. Comment ensuite une arme atomique pourrait-elle détruire Israël en épargnant les Palestiniens et autres arabes qui vivent sur ce mini territoire, et sans irradier les pays voisins Liban, Syrie, Egypte, Jordanie ? Impossible. Cela mettrait une sacrée pagaille. C’est donc une idée assez ridicule.
    Quant à la campagne d’intoxication américaine au sujet de l’Irak de Saddam en 2003, Irak supposé détenir l’arme chimique, une question : puisqu’il a été prouvé qu’il n’y avait pas d’anthrax en Irak, d’où venait l’anthrax qui a circulé au USA et qui a servi d’argument à Colin Powell à l’ONU, cette fiole (de talc) brandie ? D’où venait cet anthrax sinon des USA? Autre question : qui aux EU peut se procurer ce poison? Il est en vente libre en pharmacie? Pourquoi les attaques à l’anthrax ont-elles miraculeusement cessées au moment où la coalition américaine a attaqué l’Irak?

    Aimé par 1 personne

    • À nouveau, mes analyses s’accordent avec les vôtres. Vous souvenez-vous de la mise en scène des couveuses au Koweït avec les larmes de crocodile de la fille d’un homme d’état du pays en question. Et dire que la majorité avec cru toutes ces mises en scènes. Cela remonte à 1990 / 1991 mais je m’en souviens comme si c’était hier.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.