Pourquoi vous avez de plus en plus de mal à trouver un distributeur de billets

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L’apparition des services bancaires en ligne il y a quelques années a commencé à signer la fin des agences. Une disparition qui va pénaliser les plus pauvres, et risque de creuser les inégalités entre les territoires.

 

Il existe encore plus de 37.000 agences bancaires en France –parler d’un mouvement de fermeture généralisé semble donc prématuré. Pourtant, les annonces récentes des grands acteurs bancaires sont spectaculaires : le groupe BPCE prévoit la fermeture de plus de 400 agences en deux ans et la Société Générale a confirmé la réduction de 20% de son réseau d’agences, soit 450 établissements d’ici 2020. Liée à l’essor des services numériques, cette disparition progressive est appelée à s’accélérer rapidement.

 

Différents types de territoires ont connu des fermetures ces derniers temps : des quartiers populaires, comme Danube-Solidarité à Paris (75019), dont le Crédit Lyonnais a fermé ses portes en décembre 2016, des petites villes, comme Indre (44610), confrontée au départ du Crédit Mutuel en juillet 2017, mais également des cœurs de ville très commerçants comme celui de Nantes, avec la fermeture du Crédit Mutuel situé rue de la Marne durant le premier trimestre 2017.

 

 

Quand les agences bancaires essaimaient les centres-villes

Durant les dernières décennies, les agences bancaires et les distributeurs automatiques de billets se sont implantés à chaque coin de rue dans les centres-villes : l’élévation du niveau de vie a stimulé la «course aux guichets». La France en comptait 5.400 en 1967, il y en a aujourd’hui plus de 58.000.

 

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Cette prolifération s’est d’abord faite au grand dam des collectivités. Occupant des locaux commerciaux qualitatifs et engendrant peu d’animation commerciale, les agences ont longtemps été mal vues par les élus locaux, comme le rappelle François Mohrt de l’atelier parisien d’urbanisme (APUR): « Ces agences bancaires ont beaucoup concurrencé les commerces à une certaine époque, et les communes s’en plaignaient ».

 

Depuis, la situation a bien changé.

 

 

Le tournant des banques « en ligne »

En 2008, la croissance continue du nombre d’agences bancaires prend fin. Ce revirement s’explique par une baisse de la fréquentation des agences, estimée à 50% entre 2008 et 2012 par un responsable Grand Paris d’une grande banque française. Avec une chute de 11% du parc total d’agences entre 2011 et 2015 selon la BCE, les fermetures touchent l’ensemble de la zone euro, malgré certains écarts entre pays.

 

L’essor des services bancaires en ligne permet d’expliquer la désaffection des agences. Selon une enquête de mai 2016 réalisée par l’Observatoire des métiers de la banque, 54% des Français affirment que le développement des services en ligne les a conduits à se rendre moins souvent en agence. La baisse de fréquentation a donc forcément amené les acteurs bancaires à revoir les critères de rentabilité des établissements et à développer de nouvelles stratégies d’implantation.

 

 

La nouvelle géographie des agences bancaires de centre-ville

L’ancienne stratégie d’hyper-proximité avec le client laisse place à une optimisation des réseaux d’agences, comme le montrent Charlotte Béziade et Serge Assayage dans une étude de l’observatoire des métiers de la banque de 2014 : « Étant donné que le réseau d’agences de la banque de détail représente une part importante de sa structure de coûts, et alors que l’affluence en agence ne cesse de décroître, la plupart des principaux acteurs du marché ont déjà lancé de vastes réflexions et travaux d’optimisation de leur réseau d’agences. »

 


 

Souvent moins bien dotées en outils numériques, les populations fragiles sont d’autant plus dépendantes de leur conseiller.

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Les fermetures d’agences risquent donc d’accentuer la marginalisation de ces publics socialement défavorisés.

 


 

Le temps de la fréquentation massive étant révolu, la rentabilité d’une agence bancaire passe aujourd’hui par le nombre d’activités à haute valeur ajoutée qui y sont effectuées –telles que l’emprunt, le prêt immobilier ou l’actionnariat.

 

Propres aux populations aisées, ces activités sont moins nombreuses au sein des quartiers populaires. Initialement moins bien dotés en agences, ces territoires sont donc amenés à subir de plein fouet la dynamique de fermeture. Cette dernière s’avère effectivement géographiquement sélective, comme un spécialiste du secteur : « Vous avez aujourd’hui des zones qui sont évidemment à potentiel et d’autres où il y a beaucoup de monde mais qui n’ont pas forcément un potentiel de développement, notamment sur l’épargne ou le prêt immobilier. Ce sont des zones plus paupérisées. Là, on va avoir une désaffection. »

 

Souvent moins bien dotées en outils numériques, les populations fragiles sont d’autant plus dépendantes de leur conseiller. Les fermetures d’agences risquent donc d’accentuer la marginalisation de ces publics socialement défavorisés.

 

 

Catastrophe pour les populations pauvres, bon plan pour les communes attractives

La fermeture d’une agence a des impacts plus ou moins forts à court et moyen terme, et qui peuvent être très différents selon les territoires concernés.

 


 

« Un changement d’activité comme le Crédit Mutuel en un Starbucks, on voit ça d’un très bon œil. »

 

Une membre du service Développement économique de Nantes Métropole

 


 

Le premier type d’impact est d’ordre social, étant donné qu’une fermeture d’agence entraîne la perte d’accès aux services bancaires de proximité. Les populations les moins mobiles (personnes âgées, personnes à mobilité réduite) sont donc particulièrement victimes du départ d’une agence, a fortiori dans des petites villes faiblement pourvues en transport en commun, comme Indre pour reprendre notre exemple précédent. L’insertion sociale de publics fragiles est également remise en question par ces fermetures, comme ce fut évoqué dans un Vœu du Conseil de Quartier du XIXe arrondissement à la suite du départ du Crédit Lyonnais : «Elle les prive également d’un accès à des services bancaires s’appuyant sur une présence humaine seule à même de pouvoir les guider dans leurs démarches souvent complexes.»

 

Le deuxième type d’impact est d’ordre économique et concerne les distributeurs automatiques. Permettant l’accès aux liquidités des populations, les guichets assurent le maintien d’une offre commerciale de proximité au sein des centres-villes. Dans les cas d’Indre et de Danube-Solidarité, les deux marchés hebdomadaires et l’ensemble des commerces de proximité sont affaiblis par la fermeture des distributeurs automatiques, comme en témoigne un commerçant d’Indre : « Si les gens vont retirer de l’argent à Saint-Herblain, ils achèteront leurs baguettes là-bas et ne viendront plus chez nous

 

Enfin, la fermeture d’une agence bancaire a des impacts immobiliers. Entraînant la non occupation d’un local de rez-de-chaussée et une perte de recettes locatives pour la collectivité, la fermeture d’une agence laisse souvent place à un processus de vacance commerciale. Dans les cas d’Indre et de Danube-Solidarité, l’atonie des marchés immobiliers nuit à la reprise des locaux vacants par des porteurs de projets –contrairement à l’hyper-centre nantais, attractif auprès des acteurs commerciaux.

 

Un Starbucks y a ouvert ses portes seulement quelques mois après la fermeture du Crédit Mutuel. Un échange qui a été apprécié par les acteurs publics, qui cherchent à attirer des enseignes nationales, comme l’évoque une membre du service Développement économique de Nantes Métropole : « Un changement d’activité comme le Crédit Mutuel en un Starbucks, on voit ça d’un très bon œil. »

 

 

Repenser l’action publique locale ?

Il n’est pas rare que la fermeture d’une agence entraîne une mobilisation citoyenne. Comme à Danube-Solidarité et à Indre, des manifestations et des pétitions se sont organisées, sans toutefois parvenir à interpeller les banques.

 

Souvent, les acteurs publics perpétuent la mobilisation. Mais la proposition de nouveaux locaux aux charges locatives moins élevées ou un plaidoyer pour préserver le distributeur automatique de billets du village ne parviennent malheureusement pas à maintenir l’activité bancaire. Les acteurs publics sont-ils fatalement démunis face aux nouvelles logiques d’implantation des agences ? Il semblerait. Souvent confrontés à des ressources financières limitées empêchant la préemption des locaux vacants, ils doivent développer de nouveaux outils pour encadrer la fermeture des agences.

 

La mobilisation des acteurs économiques locaux peut permettre d’apporter des solutions à court terme, comme l’ouverture d’un distributeur automatique non affilié à une banque au sein de l’Intermarché du quartier de Danube-Solidarité. Des démarches d’occupation temporaire des locaux vacants par des porteurs de projets peuvent également limiter les impacts immobiliers d’une fermeture.

 

Si les acteurs publics se trouvent dans un rapport de force inégal avec les acteurs bancaires, notamment dans un contexte de ressources financières réduites, ils ne sont pas dépourvus de pistes d’intervention pour autant. Une anticipation du phénomène et la mobilisation de l’ensemble des acteurs du territoire peuvent permettre d’accompagner les fermetures.

 

 

Nouveau chantier du renouvellement urbain

Un pan de notre économie est bouleversé par l’essor du numérique, et c’est ce qui rend obsolète le modèle de l’agence bancaire de proximité. Comme les vidéo-clubs il y une dizaine d’années, dont le nombre aurait été réduit de moitié entre 2007 et 2010 après l’essor des services en ligne et du téléchargement, les agences bancaires sont amenées à disparaître progressivement. Mais leur responsabilité pour les territoires n’est pas vraiment la même que celle des vidéo-clubs. Les agences et les distributeurs automatiques s’avèrent indispensables pour l’inclusion sociale de nombreux citoyens et vitales pour les commerces de proximité d’un centre-ville. La disparition de ces établissements doit donc interpeller les acteurs de la ville et questionner de nouvelles modalités d’accès aux services bancaires.

 

Avec plus de 37.000 agences en France, majoritairement situées en cœur de ville et au sein d’emplacements commerciaux attractifs, l’activité bancaire a façonné l’urbanisme commercial des dernières décennies. Les locaux aujourd’hui occupés par les agences bancaires seront vacants demain, et pour faire de leur fermeture un levier de développement urbain, une prise en compte rapide du phénomène est nécessaire.

 

DAB

 


 

Source :

http://www.slate.fr/story/159541/agences-bancaires-distributeurs-billets-disparition-inegalites

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque-et-si-c-etait-la-fin-des-distributeurs-automatiques-de-billets-702918.html

6 commentaires

    • J’avais remarqué cela. Je crois bien que c’est mondial en fait. L’Inde est en avance sur le reste des autres pays (si l’on peut parler d’une avance)

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