La footbalisation des esprits : L’ecstasy de l’éphémère

 

Football

 


 

« Pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d’autres mots, c’est la guerre, les fusils en moins. »

 

George Orwell (1903 – 1950), nom de plume Eric Arthur Blair

 


 

Dans l’euphorie de la coupe du monde 2018, il serait injuste de ne pas reconnaître l’organisation parfaite de cette coupe du  monde que les médias avaient diabolisée sur commande faisant même des rapprochements avec l’instrumentalisation du football par Staline. On a même reproché l’image de Lev Yachine, maître incontesté des buts et dit-on à la fois gardien de but et joueur et dont les spécialistes reconnaissent le talent.

 

On ne parle en fait que du vainqueur et de passer sous silence les héroïsmes de différentes équipes notamment celle de l’Uruguay dirigé par un professeur qui a fait « ses humanités »  mais surtout celle de la Croatie qui s’est battue dans tous les matchs qu’elle a disputés en arrachant littéralement la victoire au prix d’un épuisement physique (3 matchs avec prolongation, c’est comme si elle avait joué un match de plus que toutes les autres équipes). Ne gâchons cependant pas le plaisir mérité d’une équipe de France black Blanc Beur dont nous avons perdu la trace depuis vingt ans et pour cause, il n’y a pas que René Camus à se battre pour « le blanc » Souvenons-nous de la Logorrhée d’Alain Finkielkraut qui n’a eu de cesse de démolir le consensus d’une France réconciliée en martelant d’une façon hystérique : « Black Black black ! »

 

Là où je peux être dubitatif c’est ce que j’appelle la footballisation des esprits. Pendant un mois, en effet la planète a été sommée de vibrer au rythme du roi football. Comment le football opère ? Cet engouement planétaire fait partie de la stratégie du néolibéralisme qui crée des besoins chez l’individu qui devient de ce fait esclave du divin marché, pour reprendre l’expression du philosophe Dany Robert Dufour. Cependant, les dégâts du néolibéralisme ne sont pas les mêmes selon que l’on soit au Nord comme au Sud. Examinons pour commencer le phénomène de société dans les pays du Sud. Le philosophe Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grand-messe planétaire orchestrée par « la toute-puissante multinationale privée de la Fifa ». « Il suffit », écrit-il, « de se plonger dans l’histoire des Coupes du Monde pour en extraire la longue infamie politique et la stratégie d’aliénation planétaire. (…) »  [1]

 

« L’expression du capital le plus prédateur est à l’œuvre : les multinationales partenaires de la Fifa et diverses organisations mafieuses se sont déjà abattues sur l’Afrique du Sud pour en tirer les plus gros bénéfices possibles. (…) Tout cela relève d’une diversion politique évidente, d’un contrôle idéologique d’une population. En temps de crise économique, le seul sujet qui devrait nous concerner est la santé de nos petits footballeurs. C’est pitoyable. Il existe en réalité une propension du plus grand nombre à réclamer sa part d’opium sportif. (…). Le football est organisé en logique de compétition et d’affrontement. Jouer ce spectacle par des acteurs surpayés devant des smicards et des chômeurs est aussi une forme de violence. (…) La symbolisation de la guerre n’existe pas dans les stades, la guerre est présente. Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d’un vulgaire et d’une absurdité éclatants. (…) » [1]

 

 

Hypnose collective

La même analyse, sans concession, nous est donnée par Samuel Metairie, il parlait de la coupe 2010  mais les arguments n’ont pas pris une ride « Trente-deux équipes, dont une vingtaine issues de pays occidentaux, vont pouvoir fouler les pelouses de leurs crampons, et servir les bas instincts pulsatifs de milliers d’hommes et de femmes peuplant les stades en jouant aux gladiateurs des temps modernes. Sauf que ces gladiateurs sont devenus des hommes d’affaires intouchables, dont le salaire mensuel (disons honoraires ou dividendes) correspond, à plusieurs années de travail d’un salarié français moyen. » [2]

 

« Juste pour pousser une balle avec ses potes jusqu’à 30 ans, pendant que de plus en plus de Français vont être obligés de travailler jusqu’à 65-70 ans. (…) Une question vient à l’esprit : si le football était vraiment un sport, ne pourrait-on pas payer ces gens raisonnablement, à hauteur du salaire minimum ? Ne pourraient-ils pas reverser ce capital vers ceux qui en ont besoin, aux pauvres oubliés par l’Occident, aux peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, au lieu de prendre l’Afrique pour une cour de récréation ? (…) Aux quatre coins du monde, surtout dans les pays plus pauvres, c’est partout la même logique du capitalisme : l’appareil économique occidental s’implante, génère des marges commerciales et des bénéfices. Il fait de l’argent sur place en exploitant la main-d’œuvre locale, et rapatrie ses capitaux dans les grandes banques européennes. (…) » [2]

 

 

Echelle des valeurs inexistante et scandale des salaires

Justement, pour parler de l’indécence des sommes colossales perçues, il faut savoir par exemple, que dix joueurs les mieux payés dont David Beckam, Ronaldinho Gaucho, Whyne Rooney ont reçu en une année 135 millions d’euros en salaires, primes, droits de sponsoring… soit en moyenne 20 millions de dollars par individu (55.000 $/jour, contre 2$/jour en moyenne pour un Africain) ou encore le salaire journalier du joueur est équivalent à ce que reçoivent deux Africains sur une carrière de 32 ans). C’est ça le scandale du marché du néolibéralisme, de la mondialisation laminoir qui font que ce que la société a accumulé pendant des siècles risque de disparaître sous les coups de boutoir du « Divin marché » où la valeur d’un individu, c’est de plus en plus ce qu’il peut rapporter, et ce qu’il peut consommer et non ce qu’il recèle comme culture et savoir.

 

On est loin de l’aspect noble du sport. On peut penser valablement que cette dimension du sport pour le sport avec les « magiciens » du ballon comme Di Stefano, Kopa, Pelé, Garrincha, et tant d’autres, s’est arrêtée avec, il y a une vingtaine d’années, pour laisser place au vedettariat et aux salaires démentiels.

 

Danse cette coupe 2018, on remarquera au passage que chaque joueur de l’équipe de France recevra 350.000 euros, indépendamment de ce qu’ils touchent avec les sponsors de leurs cachets dans les clubs Un seul footballeur en l’occurrence Kylian Mbappé a décidé de verser ses indemnités à des œuvres charitables.

 

 

A quoi  cela sert d’étudier ? 

D’après la Voix de la Russie, le mathématicien russe Grigori Perelman a ignoré le prix d’un million de dollars qui lui était attribué par l’Institut mathématique de Clay pour avoir prouvé l’hypothèse de Poincaré. Le lauréat n’est pas venu à la cérémonie de la remise du prix qui s’est passée mardi 8 juin dans le cadre d’un symposium mathématique à Paris. Le Russe s’était déjà vu décerner en 2006 la médaille Fields, considérée comme le « Nobel en mathématiques », qu’il avait refusé. Le mathématicien et directeur de l’Institut Henri-Poincaré, Michel Broué, s’est réjoui de l’attitude de Grigori Perelman en déclarant que « L’activité des mathématiques était jusqu’à maintenant, par nature, protégée de la pourriture financière et commerciale, j’emploie ce terme volontairement. Mais je pense que c’est sans doute une des raisons qui font que Perelman dit et veut dire qu’il ne veut pas travailler pour le fric ni pour les récompenses. C’est une chose, il travaille pour l’honneur de l’esprit humain. » [3]

 

Qu’en est-il de l’opium du football en Algérie ? Pour le sociologue Zoubir Arrous, le foot n’est plus un jeu sportif, mais plutôt un enjeu politique et financier. (..). La paix sociale grâce au foot ne dure pas dans le temps. L’après-match ou l’après-foot est la période la plus dangereuse sur le plan social. Le citoyen revient à son état normal et parfois critique. (…) Le foot peut faire l’objet d’un contrat social dans les sociétés qui n’ont pas de crise et qui ne cherchent pas de changement. Le foot est aujourd’hui devenu la nouvelle religion. [3]

 

Quand on pense dans le même ordre à l’épopée des  joueurs algériens vainqueurs de l’équipe nationale d’Allemagne en Espagne, en 1982  cette même équipe qui arrachera la coupe et qui revenus au pays se virent offrir un téléviseur ou un réfrigérateur… Quand je pense aux joueurs algériens qui sont systématiquement éliminés des compétitions malgré l’apport des joueurs off-shore (beurs français) et qui réclament des dizaines de milliers d’euros où un professeur d’université touche moins de 800 euros ! C’est tout ceci qui nous fait dire que le football mis au service d’une idéologie d’un système de gouvernants est une imposture. Il rappelle sans excuse le panem et circenses du pain des jeux de cirque de l’empire romain décadent qui achetait ainsi la paix sociale ! On comprend alors, l’illusion de l’éducation, notamment dans les pays du Sud où l’éducation est la dernière roue de la charrette.

 

Plus globalement l’Ecole ne fait plus rêver. L’exemple le plus criard nous est donné par Ranitea Gobrait cette jeune lauréate du bac de Polynésie avec 20,33 de moyenne qui a cravaché toute sa vie et qui n’arrive même pas à s’inscrire à l’université. En supposant qu’elle arrive finalement à s’inscrire, elle va galérer et brûler ses neurones pour un salaire infime par rapport aux cachets de ces footballeurs dont la plupart, il faut le dire n’ont pas fait d’études supérieures voire n’ont même pas le bac !  Et pourtant, il a suffi de jouer au ballon pour garantir des dizaines de fois le salaire d’une vie d’un besogneux.

 

On le voit, l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social et ne discrimine plus entre « ceux qui jaillissent du néant » et les laborieux et les sans-grades qui cumulent en une carrière ce que perçoit un joueur en une saison. De ce fait, en Algérie, par exemple certains parents l’ont bien compris, ils cherchent pour leurs enfants la rampe de lancement la plus juteuse en termes de fortune rapide, ils ne cherchent pas la meilleure école pour leurs enfants, mais le meilleur club pour inscrire leurs enfants.

 

 

Un seul coupable une mondialisation laminoir

Après avoir laminé le « collectif » au profit de l’individualisme, le néo-libéralisme s’attaque sans résistance majeure, aux derniers bastions du vivre ensemble. Après avoir laminé les Jeux olympiques qui sont devenus des jeux marchands où l’effort passe en arrière-plan de ce qu’il peut rapporter en terme d’image, après avoir créé des ersatz de divertissements, le néolibéralisme investit l’industrie du plaisir fugace et ne s’installe pas dans la durée, il vole d’opium en opium en «  extrayant de la valeur » au passage, laissant l’individu sujet consommateur sous influence en pleine errance avec des réveils amers, où il retrouve la précarité, la mal-vie en attendant un autre hypothétique soporifique devenant définitivement l’esclave du divin marché selon le juste mot du philosophe Dany Robert Dufour. [4]

 

Il est incontestable qu’une victoire au football pour le citoyen lambda est un opium qui lui permet d’oublier les problèmes qui le rattraperont assez vite après la dissipation de cet ecstasy-prozac de l’éphémère. Quant aux autres ceux qui tirent les ficelles financières, c’est tout bénef, cette coupe, ils ont extrait tout valorisé les images, les maillots les boissons, et il est normal qu’ils partagent avec ceux qui ont permis ce résultat. Ainsi va le monde.

 

 

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole Polytechnique enp.edu.dz

 


 

Balon de football

 


 

« L’esprit d’équipe … C’est des mecs qui sont une équipe, ils ont un esprit ! Alors, ils partagent ! »

 

Coluche (1944 – 1986), Michel Gérard Joseph Colucci

 


 

Panem et Circences

 


 

Source :

https://reseauinternational.net/la-footbalisation-des-esprits-lextazy-de-lephemere/

https://blogs.mediapart.fr/semcheddine/blog/160718/la-footbalisation-des-esprits-lextazy-de-lephemere

 

Article :

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole Polytechnique enp.edu.dz

 

Référence :

[1] Fabien Ollier : « La Coupe du Monde, une aliénation planétaire » Le Monde.fr 10 06 2010

 

[2] Samuel Metairie Quand l’Occident dissimule son colonialisme derrière un évènement sportif…Le Grand soir 12 juin 2010http://www.legrandsoir.info/Quand-l-Occident-dissimule-son-colonialism…

 

[3] http://forumdesdemocrates.over-blog.com/article-le-foot-gage-de-paix-5…

 

[4] https://www.legrandsoir.info/la-footballisation-des-esprits-que-reste-t-il-des-valeurs-fondamentales.html

 

Pour aller plus loin :

Les salaires du sport français : les secrets du top 50

 

Note personnelle :

L’auteur de cet article semble être algérien. Je ne le suis pas, ni à la dixième génération (il me semble tout du moins), non pas que je critique l’Algérie. Bien au contraire, je puis que féliciter le Pr Chems Eddine Chitour pour sa lucidité d’esprit ainsi que son analyse qui se veulent pertinentes sur bien des points.

 

Par ailleurs, je n’ai pas repris certains de ces points afin d’éviter tout amalgame.

 

Photo :

Pour illustration

12 commentaires

  1. Je n’ai pas suivi et d’ailleurs aucun sport professionnel, car il y a toujours des magouilles quelques parts
    Je sais par contre que le foot et le superball le foot américain apporte aussi aux supporteurs perdants beaucoup de violence
    Plusieurs femmes et enfants sont battus pendant cette ^périodes

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  2. Aller sur les journaux sportifs en ligne et lire les commentaires fait très peur et rire aussi parfois. J’aime regarder le sport en général et le foot sans pour autant defendre leurs salaires mirobolants et sans non plus rentrer dans le jeux des journalistes sportifs qui créent des problèmes la ou il y en a pas. regarder le score d’un match et les stats suffit a comprendre les choses basiques. Ils font du spectacle certes nos amis le journalistes mais bon lire des titres en phase de poules ou il doutaient de l’équipe de France par ce qu’ils jouaient peinards, a leur risque et périls, et après les voir faire passer les joueurs pour les 12 Dieux de le l’Olympe(avec Dechamps) c’est très comique. Mais c’est pareil chaque année, quand une équipe perd ou joue moyen elle est nulle a chie, quand ça passe des tours c’est des Dieux. Donc juste aller voir les scores ça suffit. C’est juste dommage que des gens aillent se défouler sur les forums des journaux a se chamailler entre eux. Mais bon libre a chacun de faire ce qu’il veut.L’article est très intéressant et réel. Mais comme tout groupe, société qui gagne beaucoup d’argent, a moins que tout la planète se prenne par la main et paye un super avocat pour les battre en justice c’est perdu d’avance. On est déja pas capable de s’entendre entre compatriotes alors de la a s’entendre tous ensembles blancs black jaunes rouges etc c’est pas gagné. Merci pour le partage

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