Un médicament à près d’un million d’euros [Vidéos]

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Spinraza 

 

Biogen

 

Le médicament à près d’un million d’euros  

 

 

 

Comment le laboratoire Biogen tente-t-il d’imposer un prix exorbitant pour un médicament contre une maladie incurable alors même que la preuve de son efficacité n’est pas pleinement démontrée ?

 

C’est un nouveau record dans une course folle. L’affaire, exemplaire, est analysée dans la livraison d’août de Prescrire, mensuel spécialisé indépendant de l’industrie pharmaceutique. Elle concerne le nusinersen, médicament commercialisé sous le nom de Spinraza® par la multinationale pharmaceutique américaine Biogen. Ce médicament est depuis un peu plus d’un an officiellement autorisé dans certaines formes d’amyotrophie spinale (SMA): une maladie génétique rare qui se caractérise par une dégénérescence progressive de certains neurones. Ce phénomène entraîne une atrophie des muscles des quatre membres et du tronc. Plus la maladie survient tôt, plus le pronostic est sévère. Dans les formes les plus précoces, la durée de vie peut ne pas dépasser quelques mois à deux ans.

 

On estime que le nombre de personnes atteintes se situe entre une sur 6.000 et une sur 10.000 naissances. Il y a, en France, environ cent vingt nouveaux cas d’amyotrophie spinale par an, et environ 1.500 malades, tous types confondus. Cette maladie génétique est la conséquence du dysfonctionnement d’un gène parfaitement identifié : le gène SMN1 (codant pour une protéine dite de « survie du motoneurone »).

 

 

Un médicament qui reste à évaluer

Longtemps rangée dans la catégorie des maladies dites « orphelines », l’amyotrophie spinale a, depuis deux décennies, fait l’objet de considérables avancées grâce aux progrès de la génétique. « Les recherches dans ce domaine sont notamment conduites au niveau international à travers un consortium de chercheurs et de médecins collaborant de manière très active et au sein duquel la France a joué un rôle important, en particulier dans l’identification de l’anomalie en cause par l’équipe de Judith Melki de l’hôpital Necker (Paris) en 1995. », précise-t-on auprès de l’AFM-Téléthon.

 

Une fois compris les mécanismes moléculaires à l’origine des symptômes, différentes perspectives thérapeutiques ont commencé à voir le jour. La plus en pointe, aujourd’hui, est celle d’une petite molécule (un oligonucléotide) dit « anti-sens » : le nusinersen commercialisé sous le nom de Spinraza®. Quelques mois après les États-Unis, Biogen obtenait en mai 2017 une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’Agence européenne du médicament –il s’agissait alors du premier médicament autorisé pour le traitement de l’amyotrophie spinale. Il l’est toujours aujourd’hui.

 


 

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« À présent, chaque pays d’Europe va devoir évaluer l’intérêt de ce médicament pour les patients, décidé de le prendre en charge et négocier un prix. », expliquait-on alors auprès de l’AFM-Téléthon. « En France, il faut d’abord que deux commissions différentes de la Haute Autorité de Santé (HAS) rendent leurs avis afin d’évaluer la valeur thérapeutique et économique du médicament. Puis, c’est le Comité Economique des Produits de Santé qui négociera un prix ouvrant un accès « de droit commun» au médicament. C’est un processus long qui pourrait prendre un an, voire plus. Le temps nécessaire à la négociation dépendra en effet du prix qui sera demandé par Biogen. »

 

 

Dispositif transitoire avant commercialisation

Un an plus tard où en est-on ? Aucune décision définitive n’a encore été prise par le gouvernement français. Un dispositif dérogatoire transitoire est toujours en place, connu des spécialistes sous le nom de « dispositif post-autorisation temporaire d’utilisation » (« post-ATU »). Il permet, en pratique, aux médecins spécialistes de prescrire le Spinraza –en attendant sa commercialisation effective en France. Le coût est facturé aux établissements hospitaliers, qui sont remboursés par le système de santé pendant la durée de ce dispositif transitoire, c’est-à-dire jusqu’à la fixation définitive du prix. Afin que le plus grand nombre de malades puisse bénéficier de ce médicament dans cette période transitoire, l’AFM-Téléthon avait alors demandé à Biogen de solliciter ce dispositif « post-ATU » pour tous les types de SMA –ce qui est aujourd’hui effectif.

 


 

« Autoriser ce médicament place les parents et les soignants dans un dilemme à la hauteur des incertitudes, car à partir des données disponibles, on ne peut pas déduire ce que vont avoir à vivre les nourrissons traités. »

 

Revue Prescrire

 


 

C’est dans ce contexte que se pose la question du prix réclamé/imposé par Biogen. Une question parfaitement résumée par Prescrire :

 

« Ce médicament à la balance bénéfices-risques incertaine n’en est pas moins vendu par la firme à un prix battant des records : environ 500.000 euros la première année, puis 250.000 par an les années suivantes. À près de 85.000 euros le flacon, cela conduit à un surcoût de traitement de plus d’un million d’euros la première année. Pour ce prix, on ne sait même pas encore dans quelle mesure les patients auront une amélioration majeure de leur qualité de vie et de leur durée de vie. »

 

« Chez les patients atteints d’une amyotrophie spinale proximale infantile sévère, c’est-à-dire se manifestant cliniquement avant l’âge de 6 mois, l’administration de nusinersen (Spinraza®) semble réduire la mortalité à court terme, sans effet important sur le handicap. On ne sait pas ce qu’il en est à plus long terme et les inconnues concernant les effets indésirables sont encore nombreuses. Autoriser ce médicament sur la base d’une telle évaluation place les parents et les soignants dans un dilemme à la hauteur des incertitudes, car à partir des données disponibles, on ne peut pas déduire ce que vont avoir à vivre les nourrissons traités. »

 

L’affaire est suffisamment grave pour que la HAS se soit interrogée sur la soutenabilité de cette dépense pour l’assurance maladie. Cette institution vient ainsi de publier une «avis d’efficience» particulièrement éclairant quant aux impasses actuelles du système –dès lors que l’industriel demande le remboursement de son médicament par l’assurance maladie. (Ce document reste malheureusement incomplet, la version disponible cachant toutes les références chiffrées. Interrogé par Slate.fr, le service de presse de la HAS précise que cette mesure garantit le respect du « secret industriel ».)

 

« Compte tenu de l’incertitude associée à l’extrapolation des résultats de santé, des données de plus long terme et en pratique courante sont attendues afin de soutenir les hypothèses formulées et documenter l’ensemble des résultats à prendre en compte. En particulier, sont attendues des données : sur l’espérance de vie chez les patients français de type I et sur l’impact de l’introduction du nusinersen sur la prise en charge par ventilation assistée; sur l’effet à long terme du traitement, en particulier sur la poursuite et le maintien de l’acquisition de capacités motrices pour les types I et II; sur la qualité de vie pour les patients atteints de SMA de type I et II; sur la durée de traitement en vie réelle; sur les consommations de soins des patients; sur le nombre de patients traités par le nusinersen correspondant aux différents types de SMA. »

 

 

Un milliard d’euros pour 1.500 malades

Pour les experts de la HAS l’affaire est autant économique que politique : « Cela pose la question de l’acceptabilité d’un tel niveau de dépenses liées au seul coût du traitement, comparativement aux autres postes de coûts déjà supportés par la collectivité, et par ailleurs de la soutenabilité de ces dépenses. »

 

Quant à l’association AFM-Téléthon, si elle a salué l’innovation thérapeutique apportée par Biogen, ce n’est pas sans avoir pris courageusement position contre son prix –et ce, dès le mois de janvier 2017:

 

« L’annonce par Biogen du prix qu’il revendique aux États-Unis est un véritable choc. Ce niveau particulièrement élevé a surpris tous les analystes, pourtant habitués à l’escalade vertigineuse des prix observée ces dernières années. Avec un prix de 750.000 dollars pour la première année de traitement, puis de 375.000 dollars pour les années suivantes, la facture serait exorbitante et difficilement soutenable pour les systèmes de santé. Rien qu’en France, pour financer la première année de traitement de 1.500 malades, il faudrait débourser plus d’un milliard d’euros ! »

 

« En tant que promoteur et acteur du médicament, nous savons que le développement de médicaments innovants pour des maladies rares qui n’ont aucune alternative thérapeutique est risqué et coûteux. Aussi, il est normal que ces coûts puissent être rémunérés et que l’innovation soit récompensée. Il n’est, par contre, pas acceptable que cela génère des marges démesurées qui empêcheront l’accès au traitement pour de nombreux malades. Les coûts de la recherche et de la production comme le nombre important de patients concernés (plusieurs dizaines de milliers aux États-Unis et en Europe) ne peuvent justifier un tel niveau de prix. »

 

« Au-delà d’être le premier médicament contre l’amyotrophie spinale, le Spinraza® serait alors le médicament le plus cher de l’histoire ! Dans un contexte financier particulièrement contraint, une telle politique de prix aurait pour conséquence de remettre en cause l’accès aux médicaments innovants au-delà même du seul Spinraza®. En tant qu’association de malades, notre responsabilité est de défendre l’accès de tous au traitement. C’est pourquoi l’AFM-Téléthon demande instamment à Biogen d’expliquer en toute transparence sur quelles bases elle peut justifier un tel prix. »

 

Sans répondre à la demande de l’AFM-Téléthon, Biogen s’était adressée aux membres de ce qu’elle nomme «la communauté SMA» en mai 2017, au lendemain de l’AMM européenne. Elle expliquait avoir, dès septembre 2016, avoir gracieusement fourni son Spinzara® aux patients les plus gravement atteints. Et la firme de préciser que plus de trois cent cinquante personnes atteintes d’une SMA infantile avaient ainsi bénéficié d’un traitement par Spinzara® dans dix-sept pays européens.

 

« Biogen reconnaît que le coût et l’accès au traitement sont des points importants pour les patients, les professionnels de santé, les organismes payeurs et les autorités. », ajoutait la firme. « Malgré l’autorisation de mise sur le marché, la disponibilité du traitement variera d’un pays à l’autre en fonction de la procédure de chaque pays en matière d’accès et de remboursement. Nous travaillons dès à présent avec les systèmes de santé et les autorités publiques dans l’Union Européenne pour garantir un accès large au nusinersen. »

 

Aujourd’hui le prix du médicament n’est, curieusement, toujours pas fixé. En France deux cents malades sont aujourd’hui traités par Spinraza® grâce au montage financier spécifique et transitoire de la « post-ATU ». L’AFM-Téléthon n’a toujours pas eu les réponses aux questions sur la transparence qu’elle a posées à Biogen et les négociations entre la firme américaine et le gouvernement français se tiennent dans le plus grand secret via le Comité économique des produits de santé.

 

 

Une pratique connue sous le nom de « coût d’opportunité »

Combien de temps cette situation va-t-elle durer ? Si le gouvernement français devait répondre favorablement aux revendications de Biogen, Prescrire estime que cela remettrait en cause l’accès en France non seulement à ce médicament, mais aussi à d’autres médicaments.

 

« Même avec un volume de vente très limité, payer des médicaments aussi cher suppose soit de trouver de nouvelles recettes pour l’assurance maladie, soit plus probablement de réduire d’autres dépenses de santé, observe le mensuel. Mais alors lesquelles ? Celles des ressources humaines des hôpitaux ? Les soins à d’autres patients ?»

 

Spinraza® n’est pas un cas unique. En cancérologie, notamment, les firmes commercialisant de nouvelles molécules réclament (et souvent obtiennent) des prix que nombre de spécialistes jugent exorbitants.

 

« Ces prix peuvent s’analyser de diverses façons, morale, politique, industrielle, mais il en est une qui a le mérite d’être comprise par tout le monde : quand l’argent est utilisé pour quelque chose ou quelqu’un, il n’est plus disponible pour autre chose ou quelqu’un d’autre. », conclut Prescrire. « C’est ce que les économistes appellent le “coût d’opportunité” ou encore le “coût de renoncement”. Partout dans le monde, le prix monstrueux de certains nouveaux médicaments épuise leur valeur pratique. Tant pour les patients qui en ont besoin, que pour la collectivité dont ces patients font partie intégrante. »

 

« Dans le cas spécifique du Spinraza®, on ne peut que souhaiter que les négociations en cours amèneront l’industriel à la raison. », a confié à Slate.fr Christian Cottet, directeur général de l’AFM-Téléthon. « Souhaiter que l’innovation thérapeutique réelle apportée pourra ainsi être accessible à tous les patients sans exclusion de certains types, dans le cadre d’un prix raisonnable. »

 

Faute de quoi la course folle s’accélérera.

 


 

Spinraza

 


 

Source :

https://www.spinraza.com/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Biogen

http://www.slate.fr/story/166088/spinrazar-medicament-laboratoire-biogen-securitesociale

https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-03/spinraza_12122017_avis_efficience.pdf

https://www.laprovence.com/article/innovations/5117113/spinraza-le-medicament-contre-lamyotrophie-spinale-serait-le-traitement-plus-cher-du-monde.html

 

Article :

Jean-Yves Nau, Journaliste / Slate

 

Vidéo :

[1] Red Flag Over Biogen’s Expensive Drug For Rare Genetic Disease | Power Lunch | CNBC / YouTube

[2] Isis Module 1 Animation How Antisense Drugs Work – Richard CC / YouTube

 

Photo :

Pour illustration

4 commentaires

  1. Les prix exhorbitants sont un effet direct des médicaments génériques. On économise, mais il ne reste plus de marge de manœuvre pour développer de nouvelles molécules et les médicaments associés. Après nous avoir plumés avec des prix ridiculement élevés durant des années, les compagnies pharmaceutiques payent pour leurs abus.Le développement de nouveaux produits devient quasi impossible. En fin de compte, on paye encore pour les stupidités de ceux qui s’en sont mis plein les poches.

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