En 1999, le film « Matrix » réinventait la science-fiction [Vidéos]

 

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Le film aurait pu se contenter d’interroger la fin du 20ème siècle. Mais il a brillamment rénové le genre. Vingt ans après, le résultat est toujours aussi impressionnant.

 

 

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Matrix a 20 ans. C’est fou, oui. Mais ce qui l’est d’autant plus, c’est que le film des Wachowski reste profondément actuel. Peut-être parce qu’il est trop référencé, trop riche et trop éclaté pour être annexé à une époque particulière. Peut-être est-ce aussi parce que, durant près de deux heures et demi, Neo et les autres protagonistes proposent un récit qui s’oppose à toute forme de normativité, de formatage ou de prêt-à-consommer.

 

Les modes ont changé, les technologies ont évolué, mais Matrix reste cet objet visuel mystérieux, fascinant, de ceux que l’on tente encore de décoder en 2019. À l’image de Joshua Clover, qui tente de formuler une réflexion autour du film avec The Matrix.

 

 

L’ambition de cet ouvrage est claire :

Il s’agit d’examiner les effets numériques de la matrice et comment ils ont été réalisés, mais aussi de montrer comment le film incarne une sorte de divertissement immersif hybride, n’en déplaisent à certains médias français qui, en 1999, ne voyaient en Matrix qu’un « patchwork cinématographique un brin cynique » et en Morpheus qu’un vieux sage tout juste bon à dispenser des concepts sortis tout droit d’un ouvrage sur le développement personnel. Florilège : « On n’est pas le meilleur quand on le croit, mais quand on le sait. », « Il y a une différence entre connaître le chemin, et arpenter le chemin. » ou encore « Je ne peux que te montrer la porte. C’est à toi qu’il appartient de la franchir ».

 


 

Time : 2 mn 17 / [1/6]

 


 

Joshua Clover : « Le film est vraiment génial lorsqu’il s’agit de combiner ces deux éléments : explorer toute la fantaisie de ce monde spectaculaire fait de héros et de méchants, et la réalité des humains que l’on peut voir comme des batteries captives, contraintes d’alimenter le monde en travaillant toujours plus. »

 

À en croire l’auteur américain, Matrix ne cesse de suggérer des pistes théoriques. C’est une expérience –sur la vie de bureau, le monde moderne, la prédominance des machines ou la fiction populaire–, qui ne cherche jamais à fournir toutes les clés des portes narratives ouvertes pendant 136 minutes. Surtout, le film façonne un travail, un imaginaire et une réflexion annonçant une nouvelle ère, plus consciente du monde qui l’entoure, des outils technologiques à sa disposition et de la révolution (numérique) qui est en train d’advenir. Un exemple ? Cette pluie de lignes vertes qui défile sur les ordinateurs et semble régir le monde alentour.

 

 

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La matrice, entre réalité et simulacre

« Ne t’autorise pas à être programmé. » Cette requête, proclamée par les producteurs d’Underground Resistence au début des années 1990, n’aurait donc plus de sens. Elle ne convient plus au monde tel qu’il est à l’aube du19ème siècle, ni à l’imaginaire de Matrix. Ici, il convient de faire confiance au numérique. C’est par là que l’humain se sauvera de son endoctrinement quotidien –voir, en cela, la façon dont Neo ridiculise les agents Smith une fois qu’il aperçoit la matrice. C’est par là, aussi, que le spectateur pourra entrevoir l’avenir du cinéma.

 

Joshua Clover : « Les améliorations numériques, telles que le wire fu (technique héritée du cinéma d’action hongkongais censée donner l’illusion d’une capacité surhumaine, ndr), étaient nouvelles et ont permis au film d’accéder à un degré d’immersion visuelle recherché mais jamais atteint par les autres films. Ici, le sujet, c’est bien la numérisation de l’expérience humaine, c’est ce qu’est la matrice finalement. »

 


 

Time : 4 mn 04 / [2/6]

 


 

L’idée de la matrice diffère selon les avis –après tout, ne parlait-on pas de Matrix dans les locaux de Warner Bros comme d’un « film dont personne ne comprend l’histoire » ? On la résume parfois à un monde parallèle, d’autres fois à une société censée permettre aux humains de se réveiller afin de combattre l’emprise des machines. D’autres fois encore, et c’est possiblement l’hypothèse la plus probable, elle est ce monde qui ne cesse de nous aliéner. Ce que suppose Morpheus lorsqu’il prétend qu’« elle est le monde qu’on superpose à [notre] regard pour [nous] empêcher de voir la vérité. », ce que vient confirmer Neo dans une ultime saillie à la fin du film :

 

« Je sais que tu es là, je te sens. Je sais que tu as peur de nous. Tu as peur du changement. Je ne suis pas venu te dire comment les choses vont se terminer, je suis venu te dire comment elles vont commencer. Je vais montrer à ces gens ce que tu ne veux pas leur montrer. Je vais leur montrer un monde sans toi, sans règles, sans contrôle, sans frontières, sans limites. Un monde où tout est possible. »

 

 

C’est là la grande force de Matrix :

Contrairement aux films de Tarkovski et Kubrick qui mettent la science-fiction au service d’un propos métaphysique, les Wachowski n’avancent jamais de réponses définitives, et jouent constamment entre réalité et simulacre (la scène de la pilule bleue, le clin d’œil au Magicien d’Oz, la référence au lapin blanc d’Alice aux pays des merveilles). Pour cela, Larry et Andy (désormais Lana et Lily) s’appuient sur des codes bien établis: ceux du film noir, des bandes dessinées, du cyberpunk, de l’animation japonaise (notamment lors des scènes tournées dans les espaces confinés) et du jeu vidéo, avec ces scènes qui semblent provenir des décors en 3D apparus quelques années plus tôt dans certains jeux de rôles.

 

Un choix logique, novateur, qui permet à Matrix de rester un objet de fascination au sein de la pop culture vingt ans après sa sortie. Avec, notamment, ce personnage : Neo, qui devient une sorte d’avatar de jeu vidéo une fois plongé dans la matrice. Il y incarne l’image séduisante de ce qu’il aimerait être dans le vrai monde. Surtout, il semble évoluer à chaque plongée dans la matrice, un peu comme dans ces jeux vidéo où le personnage gagne en réflexe, en force et en précision au fur et à mesure qu’il change de niveau.

 

Dans une vidéo finement détaillée, le YouTubeur Durendal avance même une théorie selon laquelle la vie des personnages dans la matrice serait symbolisée par leurs couches de vêtements si bien que Néo, pourtant équipé d’un long manteau en cuir au début de sa mission, finit son combat contre l’agent Smith en T-shirt dans l’une des ultimes scènes du film.

 


 

Time : 26 mn 25 / [3/6]

 

Time : 26 mn 37 / [4/6]

 


 

Matrix - 3

 

 

« Bienvenue dans le monde réel »

Matrix, c’est aussi tout un tas d’idées qui rénovent le film d’action à l’américaine. Il y a d’abord le look, ce petit détail esthétique qui fait que les héroïnes et les héros ne se trimballent plus en jeans-T-shirt en citant des répliques aussi iconiques qu’improbables (au hasard : « I’m too old for this stuff »). Désormais, ils ont la classe avec leurs combinaisons moulantes, leurs lunettes noires et leur connaissance des arts martiaux héritées des films de kung-fu –depuis 1999, n’est-ce pas devenu habituel qu’un acteur, à l’instar de Keanu Reeves, s’entraîne parfois plus de six mois pour les besoins d’un film d’action ?

 

Il y a ensuite ces multiples plongées vertigineuses et tous ces plans, symétriques et ô combien esthétiques. À l’image du bullet time, certainement le plan le plus iconique du 7eart des vingt ou trente dernières années. D’autant qu’il a été réalisé à une époque où le cinéma numérique n’existait pas encore et qu’il permettait alors au spectateur d’avoir une meilleure idée de l’imminence du danger et de l’espace environnant qu’un ralenti classique. « Nous aimons les films d’action, les armes et le kung-fu. », précisaient ainsi les Wachowski dans une interview à l’American Cinematographer en 1999. « Mais nous en avons assez des films d’action produits à la chaîne et vides de tout contenu intellectuel. Nous avons mis un point d’honneur à placer dans ce film autant d’idées que nous pouvions. »

 


 

Time : 1 mn 30 / [5/6]

 


 

Matrix - 4

 

 

Divertissement philosophique ?

La notoriété dont jouit aujourd’hui Matrix pourrait donc se mesurer à l’aune de l’imaginaire déclenché, non seulement par ses innovations (techniques, technologiques et cinématographiques), mais aussi par la puissance de son récit, qui challenge le spectateur, le pousse à se questionner et à approfondir les pistes de réflexions émises par le film.

 

« L’objectif des Wachowski est-il de nous faire réfléchir sur la nature du réel. », s’interroge Thomas Bénatouïl, co-auteur de Matrix, machine philosophique, « ou visent-ils plutôt une réflexion sur l’aliénation, que l’on retrouverait aujourd’hui avec les critiques visant la réalité virtuelle ou la prédominance des smartphones dans notre quotidien. Et dans le second cas, de quoi devons-nous nous libérer : du capitalisme ? d’internet ? Des jeux vidéo ? »

 

Sur sa lancée, Thomas Benatouïl, également professeur en histoire de la philosophie antique à l’Université de Lille, établit des connexions avec différents courants philosophiques : « On peut penser à l’allégorie de la caverne de Platon, dans le sens où Néo, en se libérant de son quotidien aliénant, découvre que tout autour de lui n’est qu’une illusion. On peut penser aussi aux Méditations métaphysiques de Descartes qui, comme Matrix, brouille les certitudes entre réalité et fiction. On peut penser, enfin, aux trois genres de connaissance selon Spinoza. »

 


 

« Dans “Matrix”, on se soucie du bien-être de l’humanité, on veut savoir comment libérer les personnes aliénées. »

 

 

Thomas Benatouïl, professeur en histoire de la philosophie antique

 


 

Impossible pourtant de considérer Matrix comme un traité philosophique, ni comme de la philosophie mise en film. Il reformule certes une problématique chère à Platon et Nietzsche (« Le réel n’est-il qu’une gigantesque qu’illusion »), mais son déploiement tient avant tout du divertissement, quelque chose qui le rapproche d’autres œuvres centrées sur le dérèglement de l’expérience humaine et la machinerie du simulacre (Dark City, Total Recall, eXistenZ, Vanilla Sky, etc.)

 

« Le film est une porte d’entrée vers diverses notions, dont il finit systématiquement par se détacher. Dans l’allégorie de la caverne, par exemple, le philosophe redescend dans la caverne, certes, mais certainement pas pour libérer le peuple, simplement pour le gouverner au moyen du savoir acquis hors de la caverne. Dans Matrix, en revanche, on se soucie du bien-être de l’humanité, on veut savoir comment libérer les personnes aliénées. » Après tout, nous sommes dans un blockbuster hollywoodien, la morale se doit d’être sauve…

 

Sauf que les Wachowski, dans leur grande intelligence, ne se limitent pas aux codes préexistants. Ils les transgressent, les réinventent et donnent à voir un film profondément influent –d’un point de vue cinématographique, on l’a dit, mais également dans la musique, à l’image des multiples références faites par les rappeurs français (Tandem, Alpha Wann, Booba, etc.) au long-métrage– et uniquement tourné vers un seul but : « Faire réfléchir les gens, les obliger à faire fonctionner leurs méninges. », comme le prétendaient les deux réalisateurs au Time.

 

Vingt ans après la sortie de ce qui reste possiblement leur plus grande œuvre, on peut dire que les Américaines ont réussi leur pari : elles tiennent là leur « film d’action intellectuel ».

 


 

Time : 4 mn 20 / [6/6]

 


 

Matrix - 2

 


 

Source :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Matrix_(film)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Matrix_(série_de_films)

http://www.slate.fr/story/175002/matrix-science-fiction-vingt-ans

 

Article :

Maxime Delcourt / Slate

 

Vidéo :

[1] Matrix – Qu’est-ce que la Matrice ? – Aleste404 / YouTube

[2] Matrix – Extrait – Qu’est-ce que le Réel ? – Mais Encore / YouTube

[3] PJREVAT – The Wachowskis Retrospective – Bound & Matrix (1/3) – Durendal1 / YouTube

[4] PJREVAT – The Wachowskis Retrospective – Matrix Reloaded & Matrix Revolutions (2/3) – Durendal1 / YouTube

[5] Matrix Bullet Time Scene [HD]

[6] Neo vs Agent Smith | Matrix – Flashback FM / YouTube

 

Voir notamment :

Matrix : Citations, Répliques et Significations

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