La fortune de l’Académie française [Vidéo]

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L’Académie française est à la tête d’une fortune colossale, un patrimoine financier et immobilier accumulés au fil des années. L’opacité de sa gestion a attiré l’attention de la Cour des comptes.

 


 

Un immortel, ça coûte cher. Très cher même pour les caisses de l’Etat. En moyenne, celui-ci débourse plus de 2,5 millions d’euros pour « entretenir » les 39 membres actuels de l’Académie française, ainsi que leurs personnels. Et on ne parle là que de la masse salariale de cette vénérable institution fondée par Richelieu en 1634 et toujours chargée de normaliser et de perfectionner la langue française.

 


 

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Sous la coupole, le pactole

 

 

 

Des immeubles, des terres, des forêts… Vieille de quatre siècles, l’Académie française est à la tête d’une fortune colossale… pas toujours bien gérée. Révélations de Daniel Garcia, auteur du livre « Coupole et dépendances ».

 

Tempête sous la Coupole ! En octobre, la Cour des comptes a entamé un audit complet (le premier depuis 2007) des finances de l’Institut de France, soit l’Académie française et quatre autres institutions (sciences, beaux-arts…) abritées sous les ors du palais Mazarin, à Paris.

 

Des histoires d’argent au sein de ces assemblées chargées du « perfectionnement et du rayonnement des lettres, des sciences et des arts » ?

 

Daniel Garcia, auteur du livre « Coupole et dépendances » consacré à l’Académie française, à paraître le 13 février, a découvert que la « vieille dame » et ses sœurs étaient riches.

 

Au fil des siècles, donations et legs ont formé un magot qui inclut aujourd’hui des monuments ou musées inestimables et un important patrimoine (immeubles, placements…).

 

Le tout se chiffre en milliards d’euros, mais sans la rigueur de gestion nécessaire, comme l’a plusieurs fois observé la Cour des comptes.

 

« Nous avons mis en place des éléments de comptabilité analytique et amélioré nos procédures », assure Leticia Petri, la directrice des services administratifs de l’Institut. « Mais les cinq académies et nous, ce sont six institutions différentes qui s’administrent librement, sans communauté de gestion. »

 

Du coup, impossible d’obtenir ne serait-ce que leurs budgets respectifs… Retour sur une étonnante enquête.

 

 

Pourquoi enquêter sur l’Académie française ?

J’ai voulu regarder sous les jupes de « la vieille dame du quai de Conti ». Et ne pas me limiter, comme trop souvent, aux élections des nouveaux académiciens. Même si celle, tout à fait inattendue, de François Weyergans, en 2009, méritait que je lui consacre un chapitre.

 

Mon propos était d’enquêter sur le fonctionnement de cette institution, donc de plonger mon nez dans les « cuisines » du palais Mazarin.

 

 

Qu’avez-vous découvert dans ces cuisines ?

Des odeurs pas très agréables, dès que je me suis intéressé à l’argent.

 

L’Académie française stricto sensu est sous l’égide d’Hélène Carrère d’Encausse, élue en 1999 au poste de secrétaire perpétuelle.

 

 

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Hélène Carrère d’Encausse et l’académicien Alain Finkielkraut

 

 

L’Académie française a quatre « sœurs » – l’Académie des sciences, celles des beaux-arts, des inscriptions et belles lettres et des sciences morales et politiques –, l’ensemble formant l’Institut de France, gouverné par un chancelier.

 

Dans mon livre, j’épingle la gestion de l’ensemble, notamment celle du patrimoine.

 

 

On n’imaginait pas que l’Institut avait un patrimoine à gérer !

Et quel patrimoine ! Pourtant, la vocation de l’Académie française était, au départ, purement intellectuelle. De même pour ses sœurs.

 

A sa création, elle ne possédait même pas de local, et ses membres ne touchaient pas un liard.

 

C’est Colbert qui, en 1670, leur accorda une rémunération – très modeste – et qui les logea au Louvre.

 

Et c’est Napoléon qui les installa au palais Mazarin, leur adresse actuelle. La richesse de l’Académie, c’est un accident.

 

 

Comment cela ?

A sa mort, en 1820, un philanthrope, le baron de Montyon, lègue une partie de sa colossale fortune à l’Académie française et à l’Académie des sciences, à charge pour elles ensuite de distribuer des prix à des citoyens méritants.

 

Le Conseil d’Etat valide cette curiosité, ce qui permettra, quelques décennies plus tard (en 1884, NDLR), un legs plus important encore : celui du duc d’Aumale, alors à la tête du plus gros patrimoine foncier de France, intégralement cédé à l’Institut.

 

Le château de Chantilly dans l’Oise, sa forêt, des terres agricoles, des immeubles…

 

Soudain, l’Institut de France devient riche. D’autant que la générosité du duc d’Aumale suscite une mode.

 

D’autres trésors artistiques tombent dans le giron de l’Institut : les musées Marmottan et Jacquemart-André à Paris, Giverny dans l’Eure… Sans parler des dons purement immobiliers, voire en argent.

 

J’ai été stupéfait de constater, en consultant les archives de l’Académie française que, presque tout au long du XXe siècle, les procès-verbaux des séances du jeudi enregistraient un nouveau legs pratiquement chaque semaine !

 

 

Ces procès-verbaux mentionnent-ils leur montant ?

Oui. Parfois de « petites » sommes, parfois des millions de francs, des immeubles entiers, des hectares de forêts…

 

Le rythme s’est ralenti à partir des années 1970, après la création de la Fondation de France, pour justement récolter des dons de toutes natures.

 

 

Ce patrimoine mobilier et immobilier est-il publié quelque part ?

Non. Mais il devrait l’être, puisque l’Institut et les académies profitent de subsides publics.

 

Ils sont logés gratuitement au palais Mazarin, propriété de l’Etat. Sur les 21 salariés de l’Académie française, treize sont payés par l’Etat.

 

 

Monopoly au quai de Conti

En s’intéressant à l’élection surprise d’un Immortel, François Weyergans, en 2009, Daniel Garcia a découvert que la « vieille dame du quai de Conti » cachait sous ses jupes bien des mystères.

 

Très documentée, l’enquête de l’auteur lève un coin du voile sur les petites habitudes des académiciens mais elle révèle surtout le patrimoine incroyable abrité par l’Institut de France, et les difficultés de l’institution à le gérer.

 

Et puis, tout cela forme une magnifique machine à optimisation fiscale. Car il n’est pas besoin d’être mort pour donner son argent à l’Institut : depuis le début des années 1990, plusieurs grandes fortunes françaises ont frappé à la porte du quai de Conti car, en lui confiant des sommes importantes, il est possible de faire profiter son don du régime des fondations, très alléchant fiscalement.

 

Tout cela est parfaitement légal : vous êtes riche, vous souhaitez retrancher une partie de votre fortune imposable pour la redistribuer selon vos vœux, par exemple, en fondant un prix destiné à récompenser des chercheurs en neurosciences, il n’y a rien à redire.

 

Mais la contrepartie devrait aller de soi : si l’on contribue, comme le fait l’Institut, à « soustraire » de l’argent au fisc, on doit à la collectivité, en retour, de gérer ces sommes en toute transparence vis-à-vis des donateurs et des pouvoirs publics.

 

C’est vrai à la Fondation de France. Cela ne l’est pas à l’Institut de France. Il serait temps que l’Etat se montre plus regardant et, surtout, plus sévère avec cette maison où l’opacité règne en maître.

 

Le chancelier Broglie a refusé de me recevoir. Hélène Carrère d’Encausse s’est montrée plus souple.

 

Son directeur de cabinet, Jean-Mathieu Pasqualini, a bien voulu me communiquer une liste d’immeubles parisiens appartenant à l’Académie française. Une première !

 

 

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Pourriez-vous donner une estimation du patrimoine de l’Institut et des académies ?

Non, parce qu’il est en partie inestimable ! Vouloir attribuer un prix au domaine de Chantilly et à tous les trésors artistiques qu’il recèle, c’est comme vouloir donner une valeur au Louvre.

 

Mais disons que le patrimoine de l’Institut et des académies se chiffre en milliards d’euros.

 

Pour les seules valeurs mobilières – liquidités, actions, obligations –, mes estimations approchent déjà du milliard d’euros !

 

Mais le patrimoine immobilier est colossal. L’Institut et les académies posséderaient 40 immeubles rien qu’à Paris.

 

L’Académie des beaux-arts est propriétaire de la galerie Vivienne : 30 boutiques et 200 appartements !

 

 

Quel mal y a-t-il à posséder tout cela ?

C’est parfaitement légal. Mais est-ce bien la vocation de l’Académie française et de l’Institut de gérer un tel patrimoine, qui mêle collections de peinture, champs de betteraves, titres boursiers et villas sur la Côte d’Azur ?

 

D’autant que tout cela est géré avec un amateurisme confondant.

 

Comme l’Académie n’aime pas que l’on s’intéresse à ses affaires, elle privilégie le recrutement interne.

 

Pendant des années, la direction financière a été confiée à un collaborateur entré quai de Conti comme informaticien !

 

Il a fait perdre beaucoup d’argent à la maison par des investissements hasardeux.

 

Tous ceux qui ont légué leur fortune à l’Institut en pensant qu’elle était en bonnes mains doivent se retourner dans leur tombe.

 

Par ailleurs, certaines opérations suscitent des interrogations. Ainsi de la vente en 2009 d’un immeuble situé avenue Gabriel, près de l’Elysée.

 

Ce bien, légué à l’Institut par Simone del Duca, la veuve du patron de presse Cino del Duca, a officiellement été cédé pour 60 millions d’euros au couturier Pierre Cardin – membre de l’Institut…–, qui l’occupait depuis quelques années.

 

Du moins, c’est ainsi que le chancelier Broglie, qui a signé la vente, a présenté les choses à la Commission administrative centrale (CAC), le « conseil d’administration » de l’Institut.

 

En réalité, et j’en donne la preuve dans mon livre, l’acquéreur n’est pas Cardin, mais un marchand de biens.

 

Quant aux 60 millions, ils incluaient, en sus de l’immeuble, un compte bancaire sur lequel étaient versés les loyers de l’immeuble. Il était créditeur de 3,3 millions d’euros au moment de la transaction.

 

Pourquoi Broglie n’a-t-il pas informé la CAC de ce « détail » ?

 

 

Pourquoi l’Etat ne se préoccupe-t-il pas davantage de cette gestion ?

C’est bien le problème. L’Institut et les académies bénéficient d’un statut dérogatoire, qui a été voté à leur demande en 2006.

 

Certes, la Cour des comptes est habilitée à effectuer son contrôle. Mais je retrace trente années de relations entre le quai de Conti et ses magistrats : on voit bien que les enquêteurs de la Cour des comptes sont confrontés à un mur.

 

En 2001, on avait sablé le champagne pour fêter leur départ !

 

 

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Source :

http://www.academie-francaise.fr/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Académie_française

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hélène_Carrère_d%27Encausse

https://www.leparisien.fr/week-end/academie-francaise-sous-la-coupole-le-pactole-06-02-2014-3566177.php

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/linstitut-de-france-et-les-cinq-academies-un-patrimoine-exceptionnel-une-gestion

https://www.sudouest.fr/2015/05/05/indemnites-avantages-logements-le-fastueux-train-de-vie-de-l-academie-francaise-1912034-4692.php

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/05/04/20002-20150504ARTFIG00091-le-rapport-accablant-de-la-cour-des-comptes-sur-l-academie-francaise.php

 

Article :

Frédéric Béghin, Christine Monin et Isabelle Spaak / Le Parisien / Le 6 février 2014

 

Vidéo :

[1] La fortune de l’Académie française – Citoyen, citoyenne ! / YouTube

 

Photo :

Pour illustration

7 commentaires

  1. Mine de rien, ils coûtent cher les vieux croutons de l’Académie Française ! Et tout ça pour quelques heures par semaine à revoir les mots du dictionnaire ? ça fait cher de l’heure !
    Quand on pense qu’à l’origine de cette fortune colossale se trouve le don d’un philanthrope, on se demande qui sont les citoyens méritants à qui ont été distribués les sommes.
    S’il s’agit des Prix Nobel, des grands chercheurs et autres sommités, on peut penser que d’autres citoyens méritants en avaient plus besoin qu’eux.
    On comprend que certains s’acharnent à postuler pour devenir Immortel ! Dans le cas d’une élection, leur uniforme et leur épée sont vite rentabilisés et on devine qu’ils ne rentrent pas sous la coupole juste pour le titre d’Immortel…

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