Comment les médicaments polluent l’environnement ? [Vidéos]

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En général, lorsqu’on ingère un médicament, il nous soigne. Mais des résidus sont généralement évacués dans nos urines et dans nos selles. Et ces résidus sont si petits qu’ils passent parfois à travers le réseau de filtrage des stations d’épuration. Ils se retrouvent alors dans nos sols et nos rivières. Ce qui affecte la biodiversité. Parmi les effets connus : la féminisation des poissons ou la modification de l’ADN des moules. Cette pollution est encore mal connue des chercheurs car peu d’études ont été faites sur le sujet. Résultat : peu de mesures sont actuellement mises en place pour la limiter.

 


 

 

 

Perturbateurs endocriniens, anti-inflammatoires et autres antibiotiques polluent de plus en plus les rivières. Les conséquences sur la biodiversité inquiètent les scientifiques.

 

« Une grande partie des écosystèmes d’eau douce (rivières, lacs…) est menacée par une forte concentration de médicaments. » C’est devant un parterre de scientifiques réunis à Vienne (Autriche), au Congrès européen des sciences de la terre, que Francesco Bergoli a lancé un pavé dans la mare. Le chercheur postdoctoral, à la tête d’une équipe internationale pour l’institut Delft de l’eau, partenaire de l’Unesco, a présenté ses conclusions inquiétantes pour la biodiversité du monde entier, ce mardi : « Si rien n’est fait, la menace environnementale sur les eaux douces du globe va augmenter de 65 % d’ici 2050. »

 

D’immenses quantités d’antibiotiques, antalgiques, anti-inflammatoires, perturbateurs endocriniens et autres psychotropes sont déversées chaque jour dans les cours d’eau de la planète. Consommés par les êtres humains, injectés aux animaux, les « médicaments » se retrouvent dans leurs urines, leurs déjections, puis sont déversés dans les fleuves et rivières.

 

Les pays développés, malgré leurs stations d’épurations, sont très touchés : selon le site de l’Irstea [1], elles ne sont pas équipées pour filtrer les molécules de synthèse. Avec ou sans traitement en station d’épuration, les molécules chimiques se déversent dans les rivières.

 

 

Des poissons qui changent de sexe

Résultat, les poissons trinquent : en 2015, le biologiste Vance Trudeau (université d’Ottawa) dévoilait à Radio Canada les résultats de son étude sur les poissons d’eau douce. Il a exposé des poissons rouges « aux mêmes concentrations de Prozac (antidépresseur) que celles que l’on retrouve dans certains cours d’eau de grandes villes du pays, l’équivalent d’une pilule dans 10 baignoires de maison. » Après deux semaines d’exposition, « le poisson mâle ne réagit plus aux phéromones de la femelle », poursuit-il. « Résultat : il ne libère plus son sperme. »

 

Vance Trudeau ajoute à l’expérience la pilule contraceptive. Résultat, « l’œstradiol féminise le poisson mâle, qui produit alors de la vitellogénine, une protéine présente dans le jaune d’œuf. Mais quand le poisson est exposé en même temps au Prozac et à l’œstradiol, l’effet est multiplié par cinq. » Un phénomène qui peut mener à des dégradations du rein… jusqu’à la mort du poisson.

 

Autrement dit, l’urine des femmes qui prennent la pilule, une évacuée dans les cours d’eau, entraîne le changement de sexe des poissons… Un problème bien connu et démontré par de nombreuses publications scientifiques, sur plusieurs continents, depuis plus de vingt ans.

 

 

10 000 km de rivières polluées

De son côté, l’institut Delft s’est intéressé au diclofenac : cet anti-inflammatoire « non stéroïdien » est le plus prescrit au monde, indiqué notamment en cas de douleurs articulaires. Une étude de 2013 de la société française de rhumatologie montre que le diclofenac peut multiplier par quatre le risque d’accident vasculaire cérébral chez l’homme.

 

Les chercheurs de l’équipe de Francesco Bergoli expliquent, dans leur étude dévoilée mardi, que « plus de 10 000 km de rivières, dans le monde entier, contiennent des concentrations supérieures à 100 nanogrammes par litre, soit au-delà du seuil d’alerte de l’Union Européenne », soulignent-ils. « 2 400 tonnes de diclofenac sont consommées chaque année, il en reste des centaines de tonnes dans les déchets produits par l’homme. 7 % d’entre elles sont filtrées par les plantes des stations, 20 % par les écosystèmes… le reste part à l’océan. »

 

 

Le problème de l’épuration

En combinant l’analyse de 1 400 points de mesure dans le monde entier, ils en concluent que les autres substances chimiques de synthèse, médicaments, pilules, etc. suivent le même chemin que le diclofenac. Si de nombreux ingénieurs et chercheurs (comme ceux de l’Istrea) tentent d’adapter les outils des stations d’épuration pour traiter le phénomène, leurs solutions seront insuffisantes : des centaines de pays dans le monde traitent moins de 20 % de leurs eaux usées (voir carte ci-dessous). La technologie des stations d’épuration ne pourra régler le problème.

 

 

Des centaines de pays dans le monde traitent moins de 20 % de leurs eaux usées. (Illustration : Institute for Water Education IHE Delft / Unesco / Catalan Institute for Water Research)

 

 

Dans le rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, présenté le 22 mars à Durban (Australie), les auteurs pointent que « la pollution aux pathogènes, issus des déjections humaines ou animales, affecte près d’un tiers des rivières en Amérique latine, en Asie et en Afrique, mettant la vie de millions de personnes en danger. »

 

Pour l’année 2012, ils ont recensé « 842 000 décès liés à une eau contaminée et à des installations sanitaires inadaptées, dans les pays à faible et moyen revenu ». L’absence de traitement, soulignent-ils, « favorise aussi la propagation de certaines maladies tropicales telles que la dengue et le choléra ».

 

 

Situation explosive

« Le traitement des eaux usées est l’un des plus grands défis associés au développement de l’habitat informel (bidonvilles) dans le monde en développement », ajoutent-ils. Une ville comme Lagos, au Nigeria, produit chaque jour 1,5 million de mètres cubes d’eaux usées, qui sont pour l’essentiel déversées sans traitement dans la lagune de la ville. L’augmentation de la population, qui devrait atteindre 23 millions de personnes en 2020, rend une telle situation explosive, estime l’Unesco.

 

Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme, comme Maryna Strokal, de l’université de Wageningen, dans un article du Guardian, ce mercredi : « En 2000, les eaux usées étaient une source de pollution pour environ 50 % des rivières du globe. En 2010, presque toutes les rivières du monde étaient touchées. »

 

Dans une étude parue en décembre, les Nations Unies pour l’environnement alertaient sur l’évolution des bactéries : exposées aux antibiotiques, elles développent des résistances qui rendent les médicaments inopérants. Francesco Bergoli est inquiet : « La technologie seule ne suffira pas à inverser les niveaux de concentration actuels. Si on ne réduit pas significativement la consommation de médicaments, une grande partie des écosystèmes des rivières du globe sera affectée. »

 


 

Bonus…

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Des truites qui changent de sexe, c’est l’une des conséquences de la pollution aux hormones et aux médicaments. Et cette contamination progresse dans les cours d’eau du monde entier.

 


 

Source :

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01885506/document

https://archimer.ifremer.fr/doc/00066/17773/15295.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Traitement_des_eaux_usées

https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ab0071

https://reporterre.net/Les-medicaments-polluent-les-eaux-mais-il-y-a-des-solutions

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/23498/reader/reader.html#!preferred/1/package/23498/pub/33914/page/7

https://csilfreefr.wordpress.com/2020/01/16/de-la-sante-de-lhomme-a-celle-de-lenvironnement-surveillance-et-sensibilisation-aux-residus-medicamenteux-en-zone-littorale/

 

Article :

Fabrice Bernay / Ouest France

Jeudi 12 Avril 2018

 

Référence :

[1] L’Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture (Irstea) est rattaché aux ministères de la Recherche et de l’Agriculture.

 

Vidéo : 

[1] Comment les médicaments polluent l’environnement ? – Le Monde / YouTube

[2] Médicaments et pesticides : une pollution invisible – Brut / YouTube

 

Photo :

Pour illustration

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