Le portefeuille européen d’identité numérique, un cheval de Troie ? – Virginie Joron, députée européenne

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Virginie Joron, eurodéputée, alerte sur les risques de la mise en place d’un véritable contrôle social « à la chinoise » en Europe

 

 

 

 

Sabine de Villeroché : En quoi la création d’un portefeuille européen d’identité numérique conçu pour le bien des citoyens serait-elle une menace pour nos libertés ?

 

Virginie Joron : Le sujet de l’identité numérique européen avec le fameux « portefeuille européen d’identité numérique » est un sujet passionnant et effrayant en même temps. Il peut nous faciliter la vie, c’est vrai : dans une application, on aura notre carte d’identité, notre carte bancaire, notre carte de Sécurité sociale et notre carte d’embarquement. De plus, comme l’évoque la Commission, tout cela reste encore facultatif. Mais la menace pour nos libertés est aussi multiforme. C’est pourquoi plus ce projet numérique avance et plus les craintes se font jour.

 

On a découvert, avec le Pass vaccinal et son QR code relié à la caisse de Sécurité sociale, que le pouvoir pouvait nous interdire de restaurants, de discothèques, de salles de cinéma, de salles de sport. Pire : des médecins, infirmiers ou encore pompiers ont été interdits d’exercer leur profession. Des professionnels pourtant d’utilité publique.

 

Cette dérive autoritaire a été inattendue et excessive au regard de l’évolution de la pandémie. Son seul but était/est-il uniquement la vaccination de masse ? Assurément Machiavel aurait intégré cette expérience dans ses écrits s’il avait vécu à notre époque.

 

Voilà pourquoi certains s’interrogent sur la portée de cette dérive de la conduite de l’État. Assistons-nous à un test grandeur nature pour tester notre aptitude à nous soumettre à un système de contrôle sous couvert d’urgence pandémique ?

 

À Bruxelles, cette expérience est vue comme un tremplin pour nous faire accepter ce portefeuille européen d’identité numérique. La pandémie ayant provisoirement disparu, l’extension du Certificat Covid européen jusqu’en juin 2023 sera voté sous prétexte de nouvelle pandémie ou de nouveaux variants. Le vote en Commission LIBE (libertés civiles) au Parlement européen a eu lieu la semaine dernière. Le vote final aura lieu en juin et je voterai, bien sûr, contre.

 

Sous prétexte de lutte contre la pandémie, on nous fait entrer petit à petit dans un système de contrôle, de traçage, de frontières intérieures voire d’exclusion pourtant contraire au sacro-saint principe bruxellois de la liberté de circulation. Pour rappel, la liberté de circulation et de séjour des personnes dans l’Union a été instaurée par l’article 48 du traité de Rome en 1957. C’est, depuis 70 ans, une pierre angulaire de la citoyenneté de l’Union.

 

J’ai visité récemment, avec des collègues eurodéputés, des professionnels du secteur de la technologie biométrique. L’avancement de ces technologies est effectivement impressionnant. Tout est prêt, comme le QR associé avec la photo et le vaccin. Il n’y a plus qu’à choisir le support : implantation de puce sous-cutanée ou application smartphone ?

 

Nous avons eu de belles démonstrations de reconnaissance faciale et de reconnaissance vocale et ces experts se sont voulus rassurants. Mais qui va gérer nos données ? Microsoft ? Qui va décider de ces exclusions ? McKinsey ? Aujourd’hui encore, malgré une communication sur un besoin de souveraineté dans le numérique, aucune entreprise européenne n’obtient les faveurs de la Commission dans les marchés publics. Au contraire, depuis vingt ans, la Commission a décidé, par trois fois, d’autoriser le transfert des données des Européens aux États-Unis à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de justice.

 


 

Contrôler, tracer, censurer, noter, sanctionner pour et par qui ?

 

Ce seront aussi des enjeux majeurs pour demain.

 


 

Sabine de Villeroché : Quelle a été la réponse du commissaire européen Thierry Breton ? Vous a-t-il rassurée ?

 

Virginie Joron : En tant que membre de la Commission du marché intérieur, j’ai l’opportunité d’interroger régulièrement son commissaire, qui est Thierry Breton, choisi par Emmanuel Macron en remplacement de Sylvie Goulard. La dernière fois, ma question tournait autour de ce portefeuille numérique européen et la crainte d’une dérive à la chinoise car la Commission souhaite la mise en place rapide de cet outil dans l’Union européenne. Se voulant rassurant, il a souligné qu’une majorité de citoyens français ou européens ont très bien accepté le Pass vaccinal. À l’entendre, comme ce sera un outil facultatif, il n’y aura aucune difficulté pour que nos compatriotes acceptent ce nouvel outil. Je ne suis donc aucunement rassurée, notamment au regard de la chasse aux non-vaccinés qui va bientôt s’ouvrir.

 

 

Sabine de Villeroché : Revenons à l’actualité immédiate : vous nous apprenez que, dans le contexte de la pandémie de Covid, le Pass sanitaire européen vient d’être reconduit jusqu’en juin 2023 : quelles conséquences concrètes pour nos vies ?

 

Virginie Joron : Comme indiqué en préambule, le Pass sanitaire est un tremplin afin de nous faire entrer dans ce Portefeuille européen d’identité numérique grâce au Certificat Covid européen qui a été obligatoire et « bien suivi » par tous les États membres.

 

Il aurait dû s’achever en juin 2022. Or, pandémie il y a ou doses de rappel il y a, ce Certificat Covid européen va être étendu jusqu’en juin 2023. La communication aux États membres de la Commission européenne du 27 avril est d’ailleurs très claire à ce sujet : « Il nous faut intensifier encore la vaccination et l’administration de doses de rappel », nous dit Ursula von der Leyen, sa présidente non élue, car « nous entrons dans une autre phase de la pandémie ».

 

Compte tenu des dernières élections en France et de la déclaration d’Emmanuel Macron sur la vaccination obligatoire, bon élève, il suivra la feuille de route de Mme von der Leyen. Le Pass sanitaire perdurera. Et, tout porte à le croire, avec une amélioration du produit comme l’intégration du dossier médical. La suite, nous la connaissons : nos vies seront rythmées par le rappel des doses, et pour faciliter nos déplacements, la carte d’embarquement y sera également intégrée, comme la SNCF l’avait déjà proposé cet hiver. La participation des entreprises privées sera un développement à suivre.

 

Au niveau public, d’autres déclinaisons de ce Pass sont à l’essai, comme avec l’exemple de la ville de Bologne, en Italie, avec le « Smart Citizen Wallet », qui est une autre dérive de ce système de portefeuille où l’on peut intégrer de nouvelles règles dites vertueuses ou de bons comportements citoyens. Une espèce de passe vert où c’est le volet écologique qui entre en jeu. Rouler au diesel, ne pas prendre les transports publics, oublier de faire le tri des déchets et payer des amendes pour dépassement d’horodateur engendreront de mauvais points qui se traduiront par quoi ? Par un refus de place dans une crèche ? Par une amende prélevée automatiquement sur le compte ? Tout est permis selon la couleur politique de la municipalité.

 

La Chine, avec son crédit social que l’on a souvent moqué, est devenue un modèle pour certains.

 

Sabine de Villeroché, juriste

 


 

 


 

Selon une récente étude réalisée par Thales, 85% des Français se disent favorables à la mise en place du futur portefeuille européen d’identité numérique. [1]

 


 

Pourquoi un portefeuille numérique à marche forcée ?

 

 

 

Aucun projet n’impactera davantage notre quotidien que celui du « portefeuille numérique » que veut mettre en place à terme la Commission européenne. Or, l’agenda imposé pour son adoption court-circuite toute véritable discussion citoyenne sur la question. Avec le risque qu’il ne s’impose sur le mode du fait accompli.

 

 

On apprend que désormais, chaque État pourra déléguer à des entreprises privées la délivrance des identités numériques ! Autrement dit, moyennant certaines garanties (comme le respect du RGPD), des entreprises pourraient fournir des identités numériques régaliennes, notamment via l’identité Google, Facebook Connect, Apple ID, ou les comptes Microsoft – précisément ces entreprises qui sont régulièrement sanctionnées pour enfreindre la loi, abuser les internautes et asseoir leur position dominante. Question confiance, peut mieux faire !

 

 

En route vers une identité dématérialisée

On reste à vrai dire stupéfait par la cadence infernale imposée par l’Union pour la mise en œuvre du Wallet. Au demeurant, la proposition de la Commission européenne ne mentionne pas qu’il ne pourrait être qu’un complément aux documents physiques ; simple oubli, ou aveu involontaire d’un désir de numérisation totale, dont on ne peut tout de même pas si ingénument ignorer la vulnérabilité de principe, ni l’exclusion qui en découlerait pour beaucoup ?

 

 

Un agenda à marche forcée

Projet capital, donc, projet tentaculaire même, qui pose un jalon essentiel sur la route de la numérisation intégrale de la vie sociale de chacune et chacun d’entre nous, de notre dossier sanitaire jusque dans l’utilisation de nos clés électroniques de voiture ; mais projet qui, loin de faire l’objet d’un débat public et d’une appropriation citoyenne, suit une marche forcée qui nous mettra toutes et tous, très vite, devant le fait accompli. Qu’on en juge plutôt :

 

  • Le 3 juin 2021, la Commission européenne a publié une proposition de règlement relatif à une identité numérique qui actualise le règlement eIDAS datant de 2014. La pandémie de COVID-19 aurait semble-t-il démontré l’utilité, pour les citoyens comme pour les entreprises, de l’identification à distance sécurisée ;

 

  • Le même jour, le 3 juin 2021 donc, en parallèle du processus législatif, la Commission publie une recommandation visant à mettre en place une coopération avec les États membres et le secteur privé afin de définir une « boîte à outils » devant déboucher sur une architecture technique commune, un ensemble de normes et de spécifications techniques communes et des bonnes pratiques. Objectif : publier la boîte à outils au plus tard le 30 octobre 2022. La numérisation des identités est donc déjà considérée comme un fait acquis, et la technique est mise en route avant et indépendamment de tout débat démocratique ;

 

  • Le 15 février 2022, la Commission publie un appel d’offre relatif aux projets pilotes développés dans le cadre du portefeuille d’identités numériques, financés à hauteur de 37 Mio d’€. Objectif : valider la mise en œuvre du wallet sur la base de la boîte à outils (date limite de soumission : 17 mai 2022 ; évaluation : juin-juillet 2022 ; résultat : août 2022) ;

 

  • Une première version de l’architecture technique est publiée le 22 février 2022, soit une semaine après l’appel d’offre ; autrement dit, les dispositifs techniques, hypercomplexes, se mettent en route avant que le projet ne soit démocratiquement discuté et accepté ! Imagine-t-on qu’on puisse revenir en arrière ?

 

  • Le 10 mars 2022, le Conseil des ministres de l’Union publie sa position sur la proposition de règlement, qui servira de base à la future discussion parlementaire ;

 

  • Parallèlement, la procédure parlementaire suit sa temporalité propre : la discussion au Parlement européen sur ce sujet n’est pas attendue avant octobre 2022 !

 

 

Cet agenda expéditif a pour effet d’asphyxier toute possibilité de débat citoyen.

 


 

Quels sont les buts et finalités de cette numérisation intégrale de la vie sociale ?

 

Quel modèle de société ce projet favorise-t-il ?

 


 

Une discussion citoyenne court-circuitée

Avant même d’alerter sur les problèmes de faisabilité, de sécurité, de risques encourus par les utilisateurs, de liberté de choix ou de fracture numérique, nous voulons questionner la manière de faire elle-même, la procédure qui, telle qu’elle est en marche, court-circuite le plus élémentaire processus démocratique de discussion.

 

Est-il acceptable qu’un projet ayant potentiellement un impact aussi massif sur nos existences et celles des générations à venir puisse s’imposer comme un événement inéluctable, simplement parce que la Commission européenne et l’écosystème de leurs experts agréés veulent aller vite ? Sait-on seulement pourquoi, dans quel but, pour servir quelle vision du monde et de la société ?

 

L’Europe et ses citoyens méritent mieux que cette frénésie procédurale dont le commun des mortels ignore, au demeurant, tout. Pourquoi prive-t-on les citoyens européens d’une discussion collective sur leur propre identité ? Pourquoi vouloir si précipitamment interconnecter tout et tout le monde via des Wallets ? Pourquoi le faire dans toutes les directions, pour tous les usages et tout cela en même temps ?

 

Mark Hunyadi, UCLouvain.

 


 

Bonus…

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Portefeuille européen d’identité numérique : vers un système de contrôle chinois ?

 


 

Le but du portefeuille numérique ?

 

Une Véritable Camisole de Force de Contrôle Social.

 


 

 


 

Source :

https://reporterre.net/Bientot-le-portefeuille-d-identite-numerique-un-cauchemar-totalitaire

https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/european-digital-identity_fr

https://blogs.mediapart.fr/carta-academica/blog/060522/union-europeenne-pourquoi-un-portefeuille-numerique-marche-forcee

https://www.bvoltaire.fr/virginie-joron-portefeuille-europeen-didentite-numerique-controler-tracer-censurer-noter-sanctionner-pour-et-par-qui/

 

Article :

Sabine de Villeroché, juriste / Boulevard Voltaire

Extrait : publié le 3 mai 2022.

 

Mark Hunyadi, prof. de philosophie, UCLouvain, en collaboration avec Claire Levallois-Barth (enseignante-chercheuse en droit), Ivan Meseguer (affaires européennes), Maryline Laurent (prof. en sciences informatiques), Patrick Waelbroeck (prof. d’économie), membres de la Chaire Valeurs et Politiques des Informations Personnelles de l’Institut Mines-Télécom, pour Carta Academica / Club Médiapart

Extrait : publié le 6 mai 2022

 

Référence :

[1] https://www.thalesgroup.com/fr/monde/securite/press_release/etude-thales-85-des-francais-interroges-sont-prets-utiliser-le

https://www.bercynumerique.finances.gouv.fr/l-information-en-continu/le-portefeuille-europeen-didentite-numerique-est-tres-bien-accueilli-par

 

Vidéo :

[1] Le portefeuille européen d’identité numérique, un cheval de Troie ? -Virginie Joron / YouTube

[2] Portefeuille européen d’identité numérique : vers un système de contrôle chinois ? – Virginie Joron / YouTube

 

Photo :

Pour illustration

 

Voir notamment de Virginie Joron & plus :

L’arrivée du crédit social en Europe ? « On est à deux doigts de la puce électronique sous la peau », Virginie Joron, députée européenne

 

Après le Pass sanitaire, Thales vous présente son portefeuille mobile numérique

 

« Le Covid est capital parce que c’est ce qui convainc les gens d’accepter, c’est ce qui légitime la surveillance biométrique totale », Yuval Noah Harari, conseiller principal de Klaus Schwab et leader du Forum économique mondial